Le texte qui va suivre ne prétend pas décliner une réponse théorique à la pratique de l’Art-thérapie, mais cherche à la situer dans une pratique de soin, la distinguant sans s’y opposer, des pratiques d’animation, d’éducation ou de la pédagogie. Il est librement inspiré de certaines expériences vécues, revisitées par le filtre de ma subjectivité pour tenter de trouver une cohérence entre ce que je fais, ma pratique, ma recherche professionnelle et les remous provoqués par ce mot quand je le prononce…
… « ART-THÉRAPIE »… N’avez-vous jamais ressenti comme ce mot laisse place à un lourd silence, comme retentissent les invectives assourdissantes de ses détracteurs, ou ce regard d’incompréhension gêné de ne pas savoir, qui, dans un souffle ose un … « Mais qu’est ce que c’est ???... »
Encore une de ces pseudo-thérapie à la mode ! Comme me le laissait entendre Mme La Présidente d’une association pour les personnes handicapées : « Oh ! De nos jours, tout le monde est thérapeute !! Ce qui n’enlevait rien aux coordonnateurs de l’Education Nationale : « Non merci, on a déjà tout ce qu’il nous faut !! ». Bref, allez vendre votre camelote ailleurs, ici nous n’avons que des gens qualifiés pour faire la même chose que vous !!! Des gens sérieux qui ne prétendent pas soigner avec des pinceaux et de la peinture. Ça, c’est de l’animation, du loisir, un jeu d’enfant ! Et d’ailleurs, quel serait votre statut ?
Et moi de penser à cette phrase : « Entre l’enfant curieux, inventif, passionné et l’adulte gourmé, traditionnel, incapable de s’évader de son cadre de pensée, de ses préjugés et de ses interdits, il a dû se produire quelque chose de grave. »[1]
L’art-thérapie est aussi méconnue auprès du public. Au téléphone : « Je vous passe Madame Constantin-Mora, ergothérapeute ? » « ?...Euh…non Madame…, art-thérapeute », « … ». Ou des réactions aux mots « art » et « thérapie » : de « jenesuispasfou » à « à l’écolejen’aijamaissudessiner ». En résumé des réactions à la fois cocasses et irritantes auxquelles je me suis confrontée depuis que je suis lancée dans l’art-thérapie en profession libérale… et même avant, (du temps où j’étais éducatrice spécialisée…)
Alors… Est-ce que j’ai toujours LA réponse aux questions et un argumentaire en béton ? Non. Est-ce que je remise ces remarques sous le tapis et continue mon chemin comme si de rien n’était ? Non, plus. Parce que ces remarques ont malgré tout en commun d’être justes. On trouve de tout et son contraire sous le terme d’art-thérapie. Actuellement, c’est vendeur, mais...NON, elle n’est pas réductible à un livre de coloriage. Alors, j’ai commencé à aller à la rencontre « des gens » pour dire ce que je fais et comment je le fais, y compris en constatant le flou artistique dans lequel nous met le mot « Art-thérapie » et en informant aussi sur les principales écoles et universités qui dispensent des formations.
En effet, ce mot, quand il est prononcé, semble porteur d’un double procès : celui de l’Art et celui de la Thérapie. Mais c’est à mon avis, oublier ce petit signe, le tiret, qui ne s’entend pas à l’oral, mais qui pourtant tient bien une place de médiation entre les moyens issus du domaine artistique et l’intention assumée de leur usage thérapeutique. Il symbolise pour moi, ce qui unit et sépare l’Art et la Thérapie, renvoyant ce concept à la théorie de la transitionnalité, où cette pratique s’origine, s’originant elle-même dans la théorie psychanalytique.
Anne Brun [2] nous le rappelle, D.W. Winnicott, Marion Milner et Mélanie Klein en sont les précurseurs. «C’est le constat de l’impossibilité de travailler exclusivement à partir du registre verbal qui a motivé l’appel aux médiations artistiques au sein de la thérapie analytique des enfants et des psychotiques ».
Cette phrase ne me permet pas pour autant d’opposer une pratique non verbale que serait l’art-thérapie à celle fondée sur la parole que serait le modèle de la cure analytique. Corps et parole sont liés dans un même mouvement par le langage. Y compris dans la cure analytique, le corps est mis à contribution dans ses maux à travers la parole et l’impossible à dire, à penser, à ressentir... Mais ce que j’entrevois, ce sont des thérapeutes qui constatent leur non savoir y faire avec les symptômes des patients et qui inventent, créent un mode d’accès vers et à partir de ce qui fait la singularité de cet autre.
Ce sont bien les sujets en souffrance qui orientent les découvertes et recherches thérapeutiques et non l’inverse. Et les symptômes changent à mesure que change la société.
"On n'a jamais rien fait grandir avec des principes. On ne fait pas pousser une fleur avec des idées sur la botanique mais avec de l'eau, de la lumière et de la patience, beaucoup de patience, au jour le jour. On transmet à un enfant ce qu'on est - jamais ce qu'on croit qu'il faut être. On est élevé par des gens qui ont été enfants : c'est donc leur enfance à eux qui nous élève".[3]
Nous sommes dans une société qui se soucie beaucoup de l’enfant : petits caddies au supermarché, rythmes scolaires… Mais placez un adulte devant une feuille de papier et il ne sait plus... Enfin…ne sait pas. Il dit qu’il ne sait pas s’il ne sait plus ou ne sait pas, bref, il s’emberlificote les pinceaux dans cette trouille qui le lie au regard de l’autre. Pourtant, ne dit-on pas à un interlocuteur familier qui semble ne pas comprendre notre discours : « Tu veux que je te fasse un dessin ? » Chiche ! Un dessin comme langage, comme une passerelle possible entre l’autre et moi, en dehors du code de la langue.
Quand un enfant nous donne un dessin, n’est-ce pas l’acte de donner plutôt que le dessin lui-même qui nous donne ce sourire béat de gratitude. Cependant, quand nous portons notre regard vers le contenu du dessin lui-même, notre expression risque de se transformer car il fait apparaître l’intention de l’enfant qui nous est destinée à travers des symboles.
Et oui ! L’adulte peut parfois sourire jaune quand il se découvre lui ou une situation familiale sous les traits de son chérubin. Chérubin a souvent très bien pressenti ce qui se passe sans qu’aucune parole ne lui ait été dite. De là à ce qu’on lui oppose une fin de non-recevoir, il n’y a qu’un pas.
Ce « non-recevoir », les patients qui viennent consulter en art-thérapie l’ont bien perçu et cette sensation, restée gravée en eux demeure en attente. En attente d’un autre qui les voit, les entende, les accueille de façon inconditionnelle, en recherche du grand amour, déçus par l’amour, souffrants au travail, en quête de reconnaissance... Ce malentendu, structurel du sujet qui parle, se transforme au fil des années, pour certaines personnes, en mal à dire. Un mal à dire intraduisible avec des mots car il a pris corps bien avant l’acquisition du langage. «Le malentendu est déjà d’avant. Pour autant que dès avant ce beau legs, vous faites partie, ou plutôt vous faites part du bafouillage de vos ascendants.»[4]
Par l’entremise d’un jeu avec la matière, l’art-thérapie propose des moyens de formulation métaphorique et métonymique de ce que les mots ou la parole sont impuissants à traduire. Le premier usage de l’art en art-thérapie ne serait-il pas la poésie ? L’écoute poétique du patient. Se laisser imprégner de son style de dire, des images, des signifiants utilisés, juxtaposés ou dans les liens qui les unissent. Et se laisser aussi imprégner de son geste et du processus créatif qui le transforment en acte.
L’acte, tout d’abord, de s’autoriser à penser une pensée qui n’aurait pas pu être supportable quelques temps auparavant et oser la prolonger dans un geste qui vient inscrire une trace dans la matière. Oser ce geste, c’est s’exposer au possible d’une trouvaille, à un non savoir immédiat. Je pense que l’acte soignant en art-thérapie se trouve beaucoup dans cet écart qu’il y a entre ce qu’un patient s’autorise à penser, à être et une mise en forme concrète avec la matière, en présence d’un autre, dans un cadre suffisamment défini pour qu’il soit fiable et digne de confiance. Pour l’essentiel, un atelier, en tant que « lieu d’expérimentation [5] » qui tient lieu « d’éprouvette psychique ».
En cela, pour respecter et garantir les productions inconscientes du sujet, je pense qu’il n’y a pas nécessité d’exposer ces rebu(t)s, ces ratés du langage aux yeux d’un public. Le patient en atelier d’art-thérapie n’est pas un artiste, il s’essaye avant tout à devenir un sujet, à faire le tri dans le trop plein ou à recoller les morceaux d’un puzzle avec sa propre vérité, son propre style, à l’abri des normes esthétiques, normatives et autres critères de jugement. Ceci dit, ce jeu créatif avec la matière peut se prolonger comme je le constate chez certaines patientes, par la pratique d’une activité artistique seule ou en atelier. Et pourquoi pas en vue d’exposer.
La démarche est ici créative au sens winnicottien, et non artistique. Un artiste s’est suffisamment détaché de son œuvre pour pouvoir la soumettre au regard d’un public, et à son appréciation, en vue de la vendre. L’atelier d’art-thérapie est tout aussi indiqué pour un artiste en panne d’inspiration ou dans un passage compliqué de sa vie. L’art-thérapeute se laisse travailler par la relation au patient lui-même et celle de ce dernier avec l’objet au cours du processus créatif, ici et maintenant. Pour reprendre Winnicott[6], il est lui aussi en situation de jeu[7], il a l’expérience de cette situation de création à visée thérapeutique, et continue à mener une analyse de ses propres productions inconscientes, en vue d’éviter de se laisser embarquer du côté de la fascination que peut procurer l’objet, garder le cap de son propre désir et garantir ainsi celui du patient. D'où l’importance des temps de supervision.
Ce triptyque patient/thérapeute/matière ou objet a ceci de différent d’une thérapie purement verbale que le thérapeute n’est pas le seul destinataire du transfert, qu’un autre lieu peut en devenir le dépositaire. Un peu comme une réactivation du stade du miroir, cet objet, de l’état transitionnel, se transforme en objet relationnel [8]. En présence de l’art-thérapeute, ou en co-création, c’est bien Mme A. ou Mr R. qui est en train de mettre en acte, d’agir sur et avec sa propre matière inconsciente.
Le sens naît dans un second temps, à partir de ce que le patient a ressenti au cours du processus de création et des associations liées à l’expression symbolique de l’objet crée. L’art-thérapeute l’accompagne dans ces différents niveaux de symbolisation, qu’ils soient sensoriels, verbaux ou en résonance avec une image. Quel que soit l’objet crée, il surgit d’un élan, d’une impulsion qui se fait nécessité. Il ne peut que très difficilement être rationalisé. Et si analyse, il y a, elle ne peut pas se faire avant que le sujet n’ait réceptionné d’abord pour lui-même ce qu’il vient de produire. Suite à la réalisation de cet objet chargé d’émotion, un temps est nécessaire pour que le sujet réalise ce qu’il a fait et que c’est lui qui l’a fait.
En disant cela, je souhaite orienter mon propos vers un parti pris et un souhait, qui me semblent être un engagement envers les personnes qui s’adressent à nous dans notre société contemporaine, c’est que l’art-thérapie et les art-thérapies concordent vers une pratique de singularité, de re-subjectivation ayant en cela une fonction humanisante plutôt que normalisante.
Dans cette orientation, on peut faire des ponts, des passerelles, entre des pratiques diverses, mais qui tiennent pour essentiel le désir du patient et celui du thérapeute, comme intention de soin et de prendre soin.
Et pour terminer, je pense que les divergences théoriques, voire idéologiques ne sont pas un frein à la reconnaissance de cette profession, mais bien un terreau fertile car elles démontrent la vivacité, la dynamique dans ce domaine. Elles valent mieux, à mon avis, que l’uniformisation du savoir et des pratiques. On peine parfois à s’y retrouver, mais c’est vivant, incarné, créatif.
Cependant, ces discussions et ces débats restent peut être trop confidentiels et ne touchent qu’une infime portion de toutes les personnes susceptibles d’être concernées par l’art-thérapie, à commencer par les patients eux-mêmes ou des proches de personnes en difficulté.
Oui, un diplôme d’état permettrait une légitimité et une vraie reconnaissance auprès du public et des institutions. Attention toutefois que cela ne privilégie pas la forme sur le fond. On a vu à quoi l’évaluation des « bonnes » et des « mauvaises » pratiques a abouti, notamment dans le secteur social et médico-social.
De plus, les secteurs « psy » qui ont pignon sur rue sont-ils prêts à se laisser concurrencer par cette « petite » art-thérapie qui viendrait poser ses médiations dans leur pré carré ? Le passage, en ce qui me concerne, du salariat au libéral en tant qu’art-thérapeute analytique me permet de constater que les débats d’idées tournent court quand il s’agit de garder sa patientèle.
Quelques psychologues et psychanalystes me démontrent heureusement le contraire, mais la tendance serait plutôt à la porte fermée et au chapelet d’ail. J’arrive au terme de cet article et je vous remercie de m’avoir lu jusqu'au bout.
« Art-Thérapie », ce mot est certes peu facile à porter et à colporter, mais il ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt des praticiens, des chercheurs, des auteurs qui, quel que soit leur orientation clinique, ouvrent une porte vers la créativité comme remède à la perte de liens dans notre société contemporaine.
Alors, c’est peut être une influence de la Dordogne, mais quand je vois ces traces humaines, animales ou végétales âgées de 40 000 ans, je me dis que l’art-thérapie a de beaux jours devant elle !
[1] (Demory, 1984, p. 59), citation extraite du texte « L’Art-thérapie : un espace favorable à la résurgence du potentiel créateur. » René Bernèche Pierre Plante, paru dans la Revue québécoise de psychologie (2009) [2] « Manuel des médiations thérapeutiques » Edition DUNOD 2013 [3] Christian Bobin, « La merveille et l’obscur » Édition Paroles d'Aube [4] J. Lacan, Le malentendu, 10 juin 1980, in Ornicar n°23, cité dans un article du site paris-psychanalyste.fr [5] Jean-Pierre Royol, « Quand l’inaccessible est toile », Edition Broché, 2008 [6] « Jeu et réalité », L’espace potentiel, Collection Connaissance de l’inconscient, Gallimard, 1971 [7] P 55, « Jeu et réalité » [8] P 81, Guy Gimenez, « Les objets de relations », « Les processus psychiques de la médiation », Dunod
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